Lumumba, le rebelle

Article : Lumumba, le rebelle
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19 mars 2018

Lumumba, le rebelle

Une concession ordinaire comme il y en a beaucoup dans les villes camerounaises. Deux bâtiments faits de trois appartements contigus se faisant face, et, séparés par un espace vide qui sert de cour commune. Une sorte de no man’s land où tous croient devoir faire comme bon leur semble. Quelques poules et coqs font partie du décor. Une vraie petite ménagerie. Tous les âges de volatiles sont représentés : du poussin de quelques jours au vieux coq.

Assis devant l’un des appartements, deux femmes, une vingtenaire, et une autre bien plus âgée. Face à elles, un jeune homme dans la trentaine. Ils devisent depuis un certain temps,  et, près de chacun d’entre eux, une bouteille de bière.

La plus jeune des femmes, depuis un moment ne participe plus à la conversation et ne la suit plus que d’une oreille indiscrète. Son attention est attirée par le manège d’un gros coq. Sur un sac plastique étalé à même le sol, de la provende a été versée. Le gros coq, tout occupé à se repaître, n’entend pas partager avec les autres. Il charge n’importe lequel de ses congénères qui ose faire mine de s’approcher. Dans un battement d’ailes, ils fuient tous devant sa furie. Envieux mais apeurés, les victimaires ailés forment, à bonne distance, un cercle autour du bourreau, espérant qu’une fois rassasié, il leur permettrait de venir se nourrir à leur tour. Seulement voilà, le gros coq, repu, décide non pas de s’éloigner de la provende mais plie ses pattes et repose son corps sur elles, une variante du «  j’y suis, j’y reste ! » qu’il tient probablement des humains qu’il côtoie. Le message est clair, même rassasié, il n’est pas question de laisser en profiter les autres.

La vingtenaire, qui  suit ce manège depuis quelque temps déjà, semble énervée par l’attitude du gros coq. De l’énervement, l’expression de son visage passe à la colère puis à l’exaspération. Dans ce no man’s land où l’extrême liberté que tous se permettent, vis-à-vis des règles d’usufruit du bien commun, se traduit par une profusion éparse de détritus et d’objets de toutes sortes, un projectile n’est pas difficile à trouver.

Fouillant des yeux les abords immédiats du banc sur lequel elle est assise, D… avise un morceau de bois, s’en saisit et le lance sur le fameux coq. Celui-ci ne le loupe pas  car le malheureux volatile, prestement, saute sur ses pattes ; court aussi vite qu’il peut, caquetant très fort pour exprimer sa douleur et provoquant la débandade des laissés-pour-compte.

-Lumumba-ci est très mauvais ! lance-t-elle.

-Qui ? s’enquiert le jeune homme.

-Lumumba, non !

-Le coq ?

Elle opine du chef tout en émettant une onomatopée qui, dans l’aire culturelle dont elle est issue, vaut pour oui.

-Celui à qui tu viens de lancer le bois ?

-Oui, non ! C’est un rebelle !

Et la plus âgée de renchérir :

-Lumumba, n’est-ce pas ? Le coq-là dérange trop. Il doit déjà aller dans la marmite. Il va empêcher les autres de grossir.

Quelle idée d’affubler un coq du nom de l’un des dignes fils que la terre d’Afrique ait jamais porté ? Il faut pour cela, soit un réel mépris pour l’homme, son histoire et ses hauts faits ; soit, une profonde méconnaissance de cette histoire de l’Afrique que l’on enseigne peu ou pas du tout dans les écoles.

-Qui lui a donné le nom de Lumumba ?

-C’est moi, dit la plus jeune avec une pointe de fierté.

A voir le personnage, auteur de cette saillie, certes en début de vingtaine mais tout laisse croire que la rupture de ban d’avec les études eut lieu bien des années auparavant, limitant certainement son instruction à l’acquisition de la portion congrue des rudiments de base. Le compagnonnage des livres fort peu goûté, l’assiduité devant la télévision se limitant probablement à la consommation des télénovelas sud américaines et des clips musicaux. Joli programme d’acquisition de la culture générale !

Pour la première fois, il regarde plus attentivement D… Belle allure générale, les puristes diraient qu’elle a des formes. Une teinte de peau à mi-chemin entre le noir soft et le brun léger. Allez-y comprendre quelque chose ! Teinte d’origine ? Il ne saurait le dire. La voûte crânienne enveloppée d’une abondante chevelure postiche en bataille qui lui donne un air farouche. De faux ongles rehaussés d’un vernis vert flashy complètent l’attirail.

L’affaire Lumumba, pour autant qu’elle durât moins de trois minutes lui fit comprendre à qui il avait affaire.

Ils s’étaient croisés il y a quelques jours, un abordage en règle et réussi. Un brin de parlotte et les numéros de téléphone échangés. Une sortie quelques jours plus tard pour lever le coude, et asseoir les bases d’une collaboration future sans rien se dire d’important ou de sérieux. Enfin, cette visite à son domicile : une véritable révélation !

Avec elle, ce sera le lit ou la porte. Entre ces deux extrêmes, aucune possibilité d’avoir des activités à faire à deux. Une inculture réelle et l’absence de savoir- vivre y sont pour beaucoup. Renoncer à elle sans… Certainement pas ! Mais en faire une compagne de route pour un certain temps, assurément non ! Juste un coup et puis s’en va !

TARA

 

 

 

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