Une rencontre inédite

Article : Une rencontre inédite
Crédit:
14 mai 2019

Une rencontre inédite

Il est encore tôt, et déjà de nombreux patients en salle d’attente du CHU de Yaoundé. Gisèle F… vient de laisser son carnet auprès des infirmières et va s’asseoir. Elle sort de son sac un magazine féminin qu’elle se met à lire.

Un jeune homme arrive, et, lui aussi, pose son carnet sur la table des infirmières, puis, avise les trois travées de bancs. Il y a encore beaucoup de places inoccupées mais une seule l’intéresse : celle libre à côté de Gisèle. Il se dit que c’est une belle fille et qu’il pourrait bien avoir sa chance avec elle. A ses atours et à sa manière de se tenir, on sent le mec en constante représentation, l’une des caractéristiques du dragueur invétéré. De loin, il la jauge avec cet œil acéré de l’homme à femmes. Il en conclut qu’il peut bien l’avoir, les trois à quatre heures d’attente seront suffisantes pour boucler l’affaire.

Un sourire de circonstance, l’air sûr de lui, la démarche leste et un brin déhanché, il se dirige vers elle qui ne le voit pas venir

— Je peux ? demande-t-il d’une voix exagérément fluette, l’accompagnant du geste caractéristique de celui qui demande le passage.

— Bien sûr, lui répond-elle.

Elle lève les yeux et place ses jambes de biais pour lui céder le passage.

— merci.

Il passe et s’assoit, puis, enchaîne :

— Au fait, bonjour. Je suis Alain.

Il lui tend la main.

— Gisèle, enchantée.

Elle la lui serre.

— J’espère que nous n’attendrons pas longtemps ?

— Que le ciel t’entende !

Un silence s’installe entre eux, ce silence qui étreint des inconnus dont le voisinage est le produit du hasard.

Alain est un joueur, il sait qu’il a brisé la glace, mais qu’il ne doit rien brusquer ou précipiter pour ne pas paraître lourd.  L’attente du médecin lui donnera certainement l’occasion de relancer la conversation, et, ainsi, de fil en aiguille, obtenir son numéro de téléphone. Il arbore donc la posture du mec qui n’espère rien. Pourtant, il est déjà aux aguets !

De la salle de prise des paramètres, un nom est lancé par une infirmière. C’est une occasion !

— Il n’est pas trop tôt ! toujours très lent, le service dans les hôpitaux publics. C’est à mon corps défendant que je suis ici. Mon médecin personnel est en déplacement.

Gisèle lui lance un regard en coin et contracte les commissures de ses lèvres.

A partir de cet instant, son bagout naturel prend le dessus. Par de petites remarques sur les inutilités qui les entourent, il l’amène à délaisser son magazine. Les légèretés sorties par à-coups laissent place à un mielleux badinage. Quelques dizaines de minutes plus tard, ils devisent comme de vieilles connaissances. Son but est atteint. Il sera toujours temps, au moment de se séparer, de demander son numéro de téléphone. Pour l’instant, il lui arrache quelques sourires par des flatteries bien placées.

Alain, dans sa lancée, est entrain de ferrer sa proie. Il n’a pas remarqué le jeune homme qui vient de poser son carnet sur la table des infirmières. Gisèle, elle, l’a vu et regarde vers lui. Ce dernier, donnant un tour de vis à sa tête en quête d’une place libre, sursaute : Gisèle, lève sa main droite et l’agite pour attirer son attention. Il la reconnait et se fige. Ceci attire l’attention d’Alain qui regarde vers le nouveau venu subodorant un rival potentiel. Le nouveau venu, mécaniquement, lève son bras droit avec la main tournée vers le sol imitant un marteau-piqueur,  où seul l’index est tendu tandis les autres doigts sont pliés, signifiant par là qu’il va la rejoindre dans un instant. Rapidement, il pivote sur lui-même et regagne la sortie.

Gisèle sourit.

Alain est perplexe et demande :

— Tu le connais ?

— Pour sûr, oui ! c’est un ex.

Alain déglutit et sent une pointe d’inquiétude l’envahir. Un silence embarrassé s’installe entre eux. Il est perdu et peine à relancer la conversation. Compulsivement, il jette un coup d’œil vers l’entrée, inquiet de voir reparaître l’ex. Gisèle qui a remarqué son manège dit :

— Parti !

Elle se met à rire.

— Qui ? demande Alain.

— Mon ex.

C’est précisément à ce moment-là qu’un nom est lancé de la salle de prise des paramètres, et Gisèle de dire, doucement, tout en joie :

—Il est parti !

Alain, intrigué et curieux, l’interroge :

— Comment sais-tu qu’il est parti ?

Gisèle se penche vers lui et sur le ton de la confidence, elle lui susurre à l’oreille :

— On a eu une histoire quelque peu spéciale. Je crois qu’il n’assume pas. Chaque fois que nous nous croisons, il s’enfuit.

— Et pourquoi ça ?

Gisèle se tourne vers lui bridant ses yeux, un demi-sourire vite refréné sur les lèvres.

— Tu sais, un soir, il avait un peu trop bu et… était comme exalté…

Intéressé, il la relance.

— Et alors ?

—Et alors, le voyant couché sur le lit, le derrière en l’air, j’ai eu comme une révélation : l’homme est une femme comme les autres !

Alain sent une montée d’adrénaline comme lors de la survenue brusque d’un danger. Et Gisèle, toujours souriante, sur un ton encore plus bas mais suffisamment audible pour lui seul, ajoute :

— J’ai baissé son pantalon, son caleçon et là, quel joli spectacle que ces deux magnifiques lobes de chair qui me faisaient de l’œil. Tu ne peux pas imaginer toutes les possibilités de les honorer qui me sont passées par la tête.

La gorge sèche et le regard fixe, Alain est pétrifié. A le voir, on dirait l’œuvre parfaite d’un taxidermiste de génie.

Elle continue :

— Je lui ai fait quelque chose de spécial avec mon doigt planté dans cette entrée qui nous est commune. Il était certes gris mais conscient de tout. Le vin le désinhibant, il fallait le voir grogner et tortiller du derrière comme une vraie femelle en rut.

Instinctivement, Alain serre les fesses et les colle fermement sur le banc comme pour se prémunir d’une intrusion. Un filet de sueur froide coule le long de son échine dorsale provoquant chez lui des frissonnements involontaires. Il perd l’usage de la parole, et les acouphènes envahissent ses oreilles.

Gisèle, sentant son malaise et contente de l’effet de ses paroles renchérit :

— Je savais que le vin avait amoindri ses facultés sans le rendre amnésique, et j’ai tenu à laisser le préservatif enfoncé où tu imagines. Question de marquer mon passage et de signer mon forfait… Le plus charmant fut son attitude au réveil en constatant la présence de l’objet indu dans le vase inapproprié. Il se rappela très bien ce qu’il vécut la veille. Honteux, il s’habilla, sortit de la chambre et de ma vie. Pourtant, on aurait pu bien s’amuser en inversant les rôles.

Alain n’a plus que son corps physique étalé sur le banc. Son esprit erre dans des immensités infinies et inconnues. Il ne perçoit maintenant ses paroles que sous la forme d’un écho lointain. C’est dans cet état altéré de conscience qu’il l’entend ajouter :

— Il l’a échappé belle ! expérimentée comme je le suis aujourd’hui, et avec l’équipement que j’ai, assurément, malgré le vin, il se serait pris une, et une grosse ! Crois-moi, il m’aurait senti passer.

Alain croit subir un viol. Seule une vague conscience du lieu où il se trouve l’empêche de crier et d’appeler à l’aide.

Plongé dans un état second, il ne sait ce qu’il est advenu de Gisèle. Quand est-elle partie ? il ne saurait le dire. C’est de loin qu’il croit percevoir son nom plusieurs fois répété. Alors, comme émergeant des profondeurs, il répond. C’est à lui d’entrer chez le médecin. Au moment de se lever, il regarde derrière lui comme pour se rassurer que personne ne veut attenter à son honneur. Alain n’est pas de la mouvance BOB – bend over boyfriend – qui a fait son lit chez l’Oncle Sam il y a quelques décennies. Ces jeunes mâles qui reçoivent, dans leur fondement, les hommages d’une petite amie équipée d’un ersatz de la fierté masculine.

En marchant pour rentrer dans le cabinet du médecin, il se dit que ça ne peut être gai pour un homme à femmes d’être avec une petite, et devoir surveiller ses arrières de peur de s’en prendre une. Et une grosse !

 

TARA

 

 

 

Partagez

Commentaires